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dimanche 7 septembre 2014

Jos Roy, de substance & d'audace


From the series Birds: Small Death - 1995 - 2006 (c) Kate Breakey


De Suc & d'espoir est le premier recueil de Jos Roy, poète du pays charnégou. Les éditions Black Herald Press ont si bien succombé à la singularité de son chant que l’éditrice et traductrice Blandine Longre l'a aussitôt traduit de concert avec le poète britannique Paul Stubbs en version anglaise simultanée.

Ils ne s'y sont pas trompés. Là, une voix plume s'élève, plane, virevolte au-dessus du temps, des fureurs et des guerres, parole bienveillante qui embaume et, à la fois, embrume les airs, langue de feu qui purifie l'espace comme un encens.

D'une séduisante et nécessaire audace, elle pétrit la substance élémentaire afin de tenter le « voyage en chacune des lettres ». Navigations énigmatiques, visions mystiques, explorations originelles, retours aux sources, autant de mémoires de vérité dont elle tire les fils arachnéens.


Elle hèle, avec grâce, tour à tour, la pensée, le rêve, l'être, la forcemuette en somme. Elle invoque
« la formecontre qui contre & pousse où pousse l'appel quelque part retiré dans la gorge ».


Elle fouaille l'esprit de sa dévorante poésie. Verve d'une ardente douceur dans laquelle se perçoit tantôt une pudeur ou une fragilité. Souvent même sa voix semble se briser, comme une vague sur la grève. Un sanglot en reflux.

Nul atermoiement, nulle mièvrerie, sans sucrerie, ni complainte. Son poème se situe aux antipodes de la pesanteur.

Depuis des cimes caressant les cieux, elle glisse au fond d'entrailles rupestres, s'immisce au sein de temps premiers,  pénètre les nuits profondes et méandreuses où résonnent des chants d'une pureté sauvage que l'on dirait cueillis comme des fruits mûrs cachés, poussés, grandis au milieu de buissons et de ronces.


Et les yeux fouillent ces ténèbres, épousent enfin l'obscurité, s'engouffrent aux confins de l’insaisissable. Mains en avant qui ne sauraient rien toucher, l’on suit la progression au cœur d'un monde autre, le sien, où jeux de casses et de ponctuation désarçonnent en plein champ, où la moisson donne à rêver plus loin. 

Et c’est félicité, puisque l'autre apparaît,— un toi rapproché, réconcilié —, ravi de surprises, les siennes, amères ou exquises, encore en réserve.

Où il est su que la survie est instinctive, que la voracité n'est jamais repue, que les sens s'affûtent dans l'épreuve du désir.

Où il est su que l'animal n'avait pas disparu. Il était resté là, silencieux, tapi au fond. La part qui ne saurait jamais s'apprivoiser, toujours aux aguets, prête à bondir hors d'elle. Fougue en retenue, mais demeurant vive, aussi têtue que l'infini.

Où, dévorées entre chien et loup, les couleurs transpercent de quelques éclairs rouge-sang l'atmosphère de clair-obscur, l'intervalle charbon.

Le poème s'éploie en fluctuations subtiles au gré de saisons musicales, d’intensités vespérales, d’oraisons champêtres mêlées aux tumultes de viscères.    


From the series Still life - 1995 - 2004 (c) Kate Breakey

       « la matière du monde

        animée d'un tremblement de lèvre:

        fragile se reporte sur


        ce qui s'inscrit

        sur ce qui peut être fixé autrement qu'en


 souffle creusé entre-ligné de suc & d'espoir »

Traversée des âges, découverte de vestiges inexplorés, peut-être, où d'anciens repères et des empreintes fossilisées sont mis au jour,— avec la délicatesse de l'archéologue qui époussette les ossements au pinceau—, où apparaissent, au fil des vers, neuves figures et inédites tournures.   

Sa déboussolante déstructuration de vers abat les murailles dressées au beau milieu de la pensée.

Où il est su que la clairvoyance était empêchée. La lutte par essence perpétuelle.
 


La dame basque a la jouissance rebelle, le goût des lettres fiévreuses, de la langue indomptée. Existence enracinée dans les marges, aux horizons émancipés, au verbe dévergondé par l'emblématique esperluette chère au poète américain E. E Cummings bientôt convoqué au détour d'un vers de saison. Canal historique. Lignée revendiquée.

Rattlesnake on lace (c) Kate Breakey

« printemps: 

Cummings trace sur la page des filles-lèvres-de-liane
 

au bout de leurs tétons se balancent nymphes&faunes
 

avec un air de déjà-dit 

tant aimé
 

ce déjà-dit mais en a perhaps
 

fraction »
 

On croirait un cantique païen voué au culte du ciel et de la terre, du souffle et des eaux, à l'adoration spontanée de toutes les forces aléatoires de l'univers. C'est pour galvaniser sa gloire que l'affranchie donne vie au motcoulédechair.  

Poésie biologique, chant organique, typographie excentrique.  

La poétesse serait de la même veine que ces femmes celtes évoquées par Blaise Cendrars « ces druidesses mystiques qu'on représente une faucille d'or à la main et qui avaient des visions et prophétisaient dans la forêt de Brocéliande », que nul ne s'en étonnerait. 

Où il est question de l'attention portée aux temps émouvants, aux êtres à l'heure du trépas, aux choses, aux douleurs et aux vents. A l'absent. 

From the series Still Life  - 1995 - 2004 (c) Kate Breakey
Et c'est humilité. Ecrit petit, le poème murmuré.

       « je lui parle

        et j'observe ses charpentes frissonner absorber

        recomposer ce que devant moi il présente

       réordonnancer le monde depuis les paroles qui naissent du corps-mien

        je lui parle         il écoute

        les oiseaux meurent     il écoute

        le vent décroît              il écoute

       à l'instant s'arriment      les craquements d'un autre jour

                                                      dans la pièce »
 


Où il est question d'ossuaires, de terre et de roc, de squelettes dans la glaise et de bêtes peintes aux parois. Ni temps ni espace en soi,  de telles notions s’effacent, comme si de rien n'était, comme si elles n’avaient plus lieu d’être.

Où s’entendent craquer les glaciers, les torrents dévaler, les pierres se fendre, dans la clameur de toutes les ruptures de l’univers. 

Célébration à voix basse de cet insoumis sans limites. De l’intérieur même, du plus profond, du plus intime d’où jaillit parfois un subtil ru de bile noire, étincelante.

Où se distingue un autre écho, en soi. Et c'est vérité en gloire. Ecrit minuscule, on reconnaît la seule et juste échelle, la taille humaine réelle. Infinitésimale.

Raven on sand from Remain  (c) Kate Breakey
         « attendu que

            chaque miette

            est piquée           hein l'oiseau ?

            chaque ver part infime bout

            d'âme brin de corps

            se crée dans la seconde

            attendu que

            tout depuis lors tout

            grouille & 


se débat »

Compassion pour l’ardeur solennelle de ce qui vient, va, vit puis pourrit mais vit encore, autrement, reproduit à l'infini, dans le chaos savant. Lui seul, ce grand vorace, connaît l’exact désordre des choses, cette Odyssée au plus près de l’étrangeté d'être et de mourir. 

« un collier pour la nuque du mort
entre la peau & la prière             (imaginons)
notre espace
      ainsi soit-il »

De suc & d'espoir, Jos Roy, With Sap & Hope, traduction de Blandine Londre et Paul Stubb (Ed. Black Herald Press)